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021 Honoré-Gabriel de Riquetti, comte de MIRABEAU (1749-1791) le grand orateur des débuts de la Révolution
L.A., [donjon de Vincennes] 4 novembre 1779, à Sophie Monnier ; 4 pages in-4.
Très ardente et belle lettre d’amour du prisonnier de Vincennes à sa Sophie.
Sophie a écrit au père de Mirabeau une lettre pleine de noblesse, de chaleur et même d’adresse, puisque la mère de Sophie la verra aussi : Mme de Ruffey n’osera avouer qu’elle préfère perdre Mirabeau que sauver sa fille, et quoique Mirabeau doute du succès de leurs efforts, tant que son père s’obstine, il est inutile d’aider « les assassins » à assassiner. Lui-même n’est pas éloigné d’un accommodement : « Prends pour guides des gens de loix non suspects ; ne fais rien que de leur avis, parce qu’enfin les intentions des négociateurs, qui t’ont déjà tant menti, et caché de choses, ne sont pas très nettes ; mais vas en avant dans tout ce que tes conseils approuveront, pourvu que le premier pas soit l’anéantissement de la procédure. Je dis l’anéantissement absolu, qui me paroit ôter toute espèce de preuves contre moi »… Il cite un extrait d’une lettre de son « bon ange » [BOUCHER] qui craint que Sophie n’ait compris ni l’enjeu de la partie, ni la proposition de l’adversaire ; puisqu’il y a procédure, son mari ne pense pas à reprendre sa femme, mais il serait de l’intérêt et de l’honneur du mari de faire annuler la procédure ; la conciliation serait peut-être le seul moyen « “d’opérer la liberté de tous deux” ». Certes, cette idée « “a des inconvéniens, des gênes, et peut-être des dégoûts, mais on peut dompter tout avec la liberté et la raison, et qu’est-ce que la raison contre la captivité ?” »…
Méditant les remarques de son avocat, Mirabeau estime qu’en cas de révision, la rentrée de Sophie chez son mari pour recouvrer ses droits ne serait plus « qu’un inconvénient que ton courage pourroit te persuader de franchir »… Il s’inquiète de sa santé, ainsi que de celle de la vieille abbesse qui lui a été bonne ; au reste, « ce n’est que dans un état obscur qu’on peut se mettre à l’abri des méchans et des Rois. La noblesse qui fut et sera toujours la pépinière des satellites du despotisme, a trouvé dans son crime même sa punition. Promoteurs du pouvoir arbitraire nous en sommes les premières victimes et cela est juste. J’ai bien démontré cela dans un grand ouvrage que tu verras quelque jour, et qui, je crois, sera mon dernier tribut à mon pays ; voilà où nos folles sollicitations nous conduisent ; nous ne comptons que sur le crédit pour nous défendre des loix ; et les loix ne peuvent plus nous défendre contre le crédit. Puisqu’elles n’ont plus de pouvoir contre nous, pourquoi en auroient-elles pour nous ? Ô pauvre ! pauvre humanité ! C’est de toi que te viennent tous tes maux ! »…
Revenant à leur propre dilemme, il se livre à des réflexions sur ce que chacun doit présumer, redouter et cacher : « il est impossible que ni mon père ni Mde de R. pensent, espèrent, projettent que si nous recouvrons chacun notre liberté, nous ne nous revoyions jamais ; ce seroit un peu trop présumer de leur autorité, ou de leur éloquence. Je te réponds encore que mon père continuera à t’écrire tant que tu voudras […] et que tu lui écrirois dix ans que tu n’obtiendrois pas de lui la pointe d’une aiguille, mais du moins tu pourras lui glisser quelques insinuations, et c’est quelque chose »…
Quant à D.P. [DUPONT (plus tard de Nemours), qui travaille à son élargissement], Mirabeau lui écrira une lettre froide, et si l’autre rompt, il en fera les frais : « c’est une conduite que j’ai observée toute ma vie avec ceux qui se sont dits mes amis, et qui m’ont assez fréquemment prouvé qu’ils n’étoient que les leurs »… Il donne d’abondants conseils à Sophie pour sa santé ; seules des craintes à ce sujet peuvent l’abattre et le rendre « une vraie femmelette ». Il ne croit pas que la mère de Sophie s’attende à ce qu’elle change ses opinions relatives à Pontarlier, parce qu’elle « a enfin appris par une triste expérience, que quand l’amour est passion, rien n’est si constant qu’une femme. Je crois bien que son cœur tout seul ne lui auroit pas fait deviner cela ; car elle n’a jamais eû de passion que pour sa chère réputation. L’amour n’a été pour elle qu’un goût ; et il est certain qu’avec cette manière d’être, une femme est le plus léger de tous les êtres, car alors elle n’a plus ce trouble, et ces combats, et cette douce honte, et ces délicieux souvenirs qui gravent si bien le sentiment dans l’âme. Il ne lui reste que les sens et de l’imagination ; des sens gouvernés par des caprices ; une imagination qui s’use par son ardeur même, et qui en un instant s’enflamme et s’éteint, de sorte qu’il est assez facile avec un peu de manège d’arranger tout cela avec les convenances. Ah ! mon amie ! Le désir général de réussir et de plaire est un sentiment très frivole, très vain, et nullement tendre et profond. Il dessèche l’âme, il étouffe la sensibilité. L’amour propre toujours calculant, toujours mesurant, vit de tout, dit M. Thomas, s’irrite de tout et se nourrit même de ce qui l’irrite. Voilà pourquoi, ma chère Sophie, il absorbe tout, et détruit tout. Il est absolument incompatible, quoi qu’en ait dit ce La Rochefoucault qui ne croit à aucune vertu, avec ce sentiment qui demande tant d’énergie dans l’ame et de profondeur et de ténacité dans le caractère, avec cette union sainte qui par une espèce de culte consacre tout entier une amante à son amant, qui transforme deux volontés en une, et fait vivre deux êtres de la même ame et de la même vie. Ô amie, ô épouse, ô cher tout telle est notre passion, née tout à coup, nourrie dans le silence, irritée par le combat, devenue plus ardente par la persécution. […] Nous savons ce que nous sommes, ce que nous nous sommes, ce que nous nous devons. – Vas, crois moi – ils ne nous vaincront pas »… Il termine en citant des paroles de Renaud à Armide, et les traduit : « Tourne, ah ! tourne sur moi ces regards qui portent dans mon ame l’ivresse du bonheur ! »… Etc.
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