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013 Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778) écrivain
Manuscrit autographe, [Les Femmes de l’histoire de France] ; 123 pages in-4 sur 64 ff. montés sur onglets en un volume petit in-4 et non rognés, reliure cartonnée papier gris, pièces de titre maroquin rouge sur le plat sup. et au dos.
Importante étude inédite sur les Reines qui marquèrent l’histoire de France, depuis les Mérovingiens et Berthe, femme de Pépin le Bref, jusqu’à Marie de Medicis. Toute l’étude est empreinte d’un féminisme avant la lettre, et d’un souci de justice envers ces femmes d’exception, dont Rousseau parle avec une sympathie qui n’exclut pas la rigueur. Ces notes ont été rassemblées par Rousseau en vue de l’ouvrage sur les femmes que Rousseau entreprit entre 1746 et 1750 pour sa protectrice Mme Louise Dupin (1706-1799) et qui ne vit jamais le jour. Il est écrit à l’encre brune sur papier vergé sur la moitié droite des pages, de la belle écriture de Rousseau, avec des pages intégralement biffées, ou fortement modifiées, avec des additions remplissant la colonne de gauche, de la main de Mme Dupin ou de Rousseau lui-même.
La source principale de Rousseau est l’Histoire de François Eudes de Mézeray ; l’écrivain cite aussi l’Histoire de France, contenant le règne des rois des deux premières races de Louis Le Gendre. Son ordre n’est pas strictement chronologique, et Rousseau ne prétend pas à l’exhaustivité. Environ cinquante femmes des dynasties des Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens et Valois sont passées en revue, jusqu’à la première Reine des Bourbons, Marie de Médicis, avec quelques digressions pour tenir compte d’autres personnalités marquantes : Jeanne Hachette, défenseur de Beauvais ; Madeleine de Senneterre, redoutable adversaire du lieutenant en Auvergne d’Henri III, Montal ; Mme de Châtillon, de Châtillon-sur-Loing, qui défia les Ligueurs ; les Rochelaises qui défendirent leur ville assiégée… Rousseau dépeint ces femmes comme sages, prévoyantes, courageuses, habiles en diplomatie, promptes à agir, parfois dangereuses, d’excellents défenseurs du royaume et des rois, – souvent méconnues, voire calomniées, mais presque toujours admirables. Aussi conteste-t-il fréquemment les jugements de Mézeray : « Il ne faut pas être grand critique pour sentir qu’une telle réfléxion sent l’injustice »... « Est-il incontinent de se marier ? Est-il décent que l’histoire parle ainsi »... « Mezerai parle de cette dernière comme d’une femme de mauvaise vie »... « Mezerai parle si indécemment que nous ne pouvons nous empescher de répéter à cette occasion que la vérité et l’intérest de l’histoire souffrent trop de la licence avec laquelle on se permet de parler des femmes »... « Mezerai ne s’épargne pas à propos de ces règnes de dire que l’ancien esprit des François ne pouvoit souffrir la domination d’une femme. On n’apperçoit, cependant, aucun trait qui puisse fonder cette réfléxion, quoiqu’il insinue que dans les Etats tenus à Pontoise en 1561 les Deputés en étoient occupés »... Plus généralement, il condamne le « faux zèle » des historiens pour la loi salique...
Citons quelques extraits des portraits de Rousseau. Berthe aux grands pieds, femme de Pépin le Bref. « Sous cette race [les Carolingiens] les femmes ne furent pas privées de pouvoir et plusieurs s’en montrèrent dignes. Berthe fut couronnée solemnellement avec Pepin son mari. Ils vécurent dans la plus grande union ne se separant jamais l’un de l’autre. Cette Princesse accompagna Pepin dans ses guerres en Aquitaine et en Allemagne. Mezerai lui donne sans hesiter le titre d’Héroïne. Après la mort de Pepin il y eut de la dissention entre ses fils Charles et Carloman elle sut empêcher que cela n’allât jusqu’à une discorde ouverte employant à propos son autorité et ses remontrances »... Ogive de Wessex, fille d’Édouard I d’Angleterre, seconde femme de Charles III le Simple. Rappelée d’exil avec son fils Louis IV, après la mort de son mari et celle de Raoul de Bourgogne, elle fit face à plusieurs rébellions avec courage, « combattant et marchant à la tête de ses troupes qu’elle conduisoit hardiment d’un côté tandis que son fils les ménoit de l’autre ; de sorte, dit Mezerai, que cette Princesse eut un courage viril jusqu’à 65 ans qu’elle retomba dans sa foiblesse naturelle en épousant Albert. Ce mariage dit-il si honteux à la Reine montre que ce sexe aime toujours avec manie et n’est que fort rarement aimé sans deshonneur. Cela ne montre-t-il pas encore plus clairement qu’un auteur est fou de l’envie de dire du mal des femmes »... Frédégonde et Brunehaut, Reines Franques, font l’objet d’un récit complexe. « Frédégonde se trouvant seule chargée du poids du sceptre dans un tems si orageux ne perdit point courage. Elle sut faire face à la puissance de Childebert. Elle lui surprit deux places Braine et Soissons qu’il avoit lui-même surprises quelques années auparavant. Childebert envoya une armée pour reprendre ces places avec ordre à ses généraux de poursuivre Frédégonde et de la lui amener vive ou morte ; elle assembla ses troupes et alla à leur tête au devant des Austrasiens, elle remporta en personne une victoire signalée sur eux, les poursuivit jusqu’à Reims ; et elle revint à Soissons chargée de gloire et de dépouilles. Le Gendre [...] ajoute qu’il ne resta à Childebert que la honte d’être vaincu par une femme et par un enfant. Cette refléxion est-elle judicieuse ? [...] est-il plus glorieux d’être vaincu par un Général mâle que femelle »... Éléonor [Aliénor d’Aquitaine], femme de Louis VII le Jeune. « Cette Princesse, outre ses grands héritages avoit des prétensions sur le Comté de Toulouse. Elle sollicita le Roi de les faire valoir. Ce fut sans doute aussi l’avis de son Conseil mais parce que l’entreprise ne reussit pas pour le moment la Reine est nommée seule et blâmée de ce projet. St Bernard exhorta le Roy à se croiser, la Reine Mère [Alix de Savoie] et la Reine le suivirent ; il mena en Orient un tiers de ses sujets dont il ne revint pas la 10e partie. Dans cette croisade des escadrons entiers de femmes s’étoient croisés et n’avaient pas cru faire assés de prendre la croix : mais avoient voulu prendre les armes pour la deffendre. Elles composèrent des troupes de leur séxe qui rendent croyable tout ce qu’on a écrit des Amazones. Ce sont les termes de Mezerai. Ne retrouve-t-on pas dans tous les siècles assés d’evenemens où les femmes se montrent capables du courage militaire, pour qu’il soit absurde d’établir que c’est par incapacité qu’elles ne font pas la guerre »... Alix [Adèle] de Champagne, troisième femme de Louis VII, « couronnée Reine en 1158 dans l’Eglise de Reims. Elle étoit belle et vertueuse, et ornée d’une excellente éducation qu’elle avoit receuë à la cour de Thibaut son père. Cette Princesse étoit splendide et liberale selon l’humeur de sa maison qui se trouva conforme à celle du Roy. Louis 7 mit dans son Palais et dans sa suitte une pompe plus grande et plus convenable que celle de ses prédecesseurs. Alix aimoit les beaux arts, elle s’amusoit de la Poësie et de la Musique. Elle récompensoit liberalement les travaux de l’esprit. Enfin cette Princesse étoit généralement bonne ; elle fut généralement aimée »... Marie de Moravie [Agnès de Méranie], troisième femme de Philippe II Auguste, répudiée après que le Roi eut repris sa deuxième femme, Ingeburge de Danemark, l’emmenant de sa prison « en croupe derrière lui à Paris ». Malgré la légitimation de leurs enfants, elle « mourut de douleur de ce que son mariage n’avoit pas été légitime. Ces sortes d’actions sont-elles justes ? S’il y avoit à tels divorces de grands motifs pour les Etats et que les bons procedés fussent alors observés, ce pourroit être le cas d’un accomodement avec le Ciel et avec la terre, mais sur de simples fantaisies qu’on fait valoir avec rigueur n’est-on pas blamable ? Philippe Auguste fut un grand Prince. Il a mérité les louanges qu’on lui a données : mais il a mérité aussi des reproches qu’on ne lui a pas faits. On peut dire qu’il fut un très méchant mari, et cela doit être de quelque valeur dans le caractère »... Blanche de Castille. « Louis 8 fut sacré à Reims avec sa femme Blanche de Castille. Ils vécurent ensemble 26 ans dans la plus grande union. Blanche se montra si capable de raison et de bon conseil dès sa plus grande jeunesse que même du vivant de Philippe-Auguste [son beau-père] elle étoit écoutée et consultée. À la mort de son mari son regret fut extrême comme l’avoit été sa tendresse. On peut dire que l’union de ces Princes fut un modèle parfait de la societé du mariage. [...] Elle fut declarée tutrice du Roy son fils, et Régente du Rme. Quoique tous les historiens ayent peint cette Princesse comme une femme d’un grand esprit d’un grand courage et en un mot digne de régner, quoique son gouvernement fut juste et doux, les Princes se liguèrent contre elle [...]. Elle sut y resister et réduire les plus mutins ; elle entreprit une guerre à laquelle Philippe Auguste sembloit n’avoir osé toucher. [...] Blanche fit si bien qu’elle écarta les conjurés, qu’elle se débarrassa de toutes les factions, et qu’elle rendit son fils le plus puissant Prince de l’Europe. Les guerres qu’elle entreprit tournèrent à sa gloire. Elle accompagnoit toujours son fils à la tête de ses armées »... Marie d’Anjou, « femme de Charles 7 fut parfaittement belle et eut beaucoup d’esprit et de prudence dont les Conseils profitèrent souvent. Elle rassuroit par sa constance les esprits troublés, et savoit fournir des expédiens au besoin. Elle découvrit souvent les desseins des ennemis et souvent les arrêta. Ses remontrances empeschèrent le Roi de se retirer en Dauphiné et d’abandonner les terres de deça la Loire. Elle bannit beaucoup de vices de la cour, et par ses bons exemples y établit les vertus contraires. Le Roi la considéra et l’aima près de 20 ans, au bout desquels il prit du gout pour différentes maîtresses »... Anne de Bretagne, « deux fois Reine de France et constamment digne d’être assise sur le trône. Elle eut part au gouvernement sous les règnes de ses deux maris, Charles 8 et Louis 12, fut regente dans leur absence ; elle gouverna la Bretagne en particulier ; il semble qu’on lui reproche d’avoir été jalouse de son autorité, comme si l’on oublioit à l’égard des femmes que c’est un devoir des souverains »... Catherine de Medicis. Elle eut « une grande influence dans les affaires du gouvernement sous les règnes de ses enfans et par le tems de ses régences et par la confiance qu’ils eurent en elle. Elle avoit eu précédemment celle de son mari. L’amour qu’il eut pour Diane de Poictiers ne diminua rien de la considération qu’il eut pour Catherine. [...] Il est impossible de concilier ce que l’histoire dit de cette Princesse, elle rend justice à ses talens politiques, mais elle dit qu’elle avoit de l’ambition : cette expression est si impropre pour la personne des Rois que nous ne l’entendons pas. [...] Catherine de Medicis avoit trop de part aux affaires pour n’être pas condannable sur l’horrible massacre de la St Barthelemi, quoique d’autres puissances soient à blamer dans cette occasion puisque les Cours de Rome et d’Espagne en furent complices et ne feignirent pas d’en marquer leur joie, quoique son fils eut 23 ans l’horrible jour de cet événement, quoique la Religion servît de pretexte à cette inhumanité »... Etc.
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