Catalogue 2023

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  • 010 Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ (1626-1696) la grande épistolière

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  • L.A.S. (paraphe), Livry 25 octobre [1686], au Président Philippe Moulceau à Montpellier ; 13 pages in-4 (transcription ancienne jointe).

    Lettre exceptionnelle, très longue et belle lettre amicale, de treize pages, donnant des nouvelles familiales. Les lettres autographes de la marquise de Sévigné sont de la plus grande rareté, surtout de cette longueur.

      Elle a reçu sa lettre : « elle fust presentee a moy come sy vous voulies me faire quelque honte de mon silence, et me faire croire que jay esté malade, pour rentrer en discours avec moy. Elle ma fait souvenir dune jolie comedie, ou quelquun qui veut avoir un eclarcissemen avec celle qui entre, luy fait croire quelle lapelle, et rentre ainsy en conversation […] je ne puis jamais comprendre comme vous estimant come je [fais] me souvenant de vous avec tant dagrement, en parlant sy volontiers, ayant tant de goust pour votre esprit, et pour vostre merite, pour ne rien dire de plus, crainte des jaloux, je puisse avec toutes ces choses, sy propres a faire un comerce vous laisser sept ou huit mois sans vous dire un mot, cela est epouvantable, mais quimporte demeurons dans ce libertinage, puisquil est compatible avec tous les sentimens que je viens de vous dire ». Puis elle l’entretient d’amis ou de connaissances communes : elle a rencontré M. de La Trousse avec lequel elle a parlé de Ménage et elle partage leur estime réciproque : « Je le trouvé tout instruit, et touché autant quon le peut estre de tout ce que vous valez »… Elle sait que Moulceau doit avoir près de lui M. de Noailles [lieutenant général en Languedoc, dont les États s’assemblent alors à Nîmes] : « vous estes si bien a cette Cour, que je veux me rejouir avec vous, du plaisir que vous aures de voir un home a qui vous aves inspiré une sy forte estime. Je comprens le derangement que vous fait celuy de vos états mais vous ne pouves vous dispenses daller a Nimes ».

    Elle lui parle longuement de Mlle de Grignan (Louise-Catherine, née en 1660, fille aînée en premières noces [avec Angélique-Claire d’Angennes] du comte de Grignan, gendre de Mme de Sévigné) : « je supose que vous saves quelle est entrée aux grandes Carmelites il y a huit mois, pris habit en seremonie avec un zele trop violent pour durer, dans les trois premiers mois, elle sest trouvée sy acablee de la rigueur de la regle, et sa poitrine sy offancée de la mauvaise nourriture, quelle estoit contrainte de manger gras par obeissance. Cette incapacité de faire cette vie, mesme dans le noviciat, la obligee de sortir, mais avec une devotion, une humiliation de sa delicatesse, et une sy grande haine pour le monde, que les stes religieuses ont conservé pour elle, une tendre et veritable amitié, et elle qui na changé que dhabit, et point du tout de sentimens, na point la mauvaise honte de celles qui veulent changer de vie, et elle est presentement avec nous icy, tout come a lordinaire, et nous donnant la mesme édification. Elle demeure a Paris, aux Feuillantines ou elle est pensionnaire comme beaucoup dautres. Elle y retournera a la St Martin, quand nous irons a Paris, et ce qui latache a cette maison, c’est le voisinage des Carmelites, ou elle va quasy tous les jours, et y entre, quand il y a quelque princesse, elle prend tout ce qui luy convient de ce st couvent, cest adire, la spiritualité et la conversation, et laisse la rigueur de la regle, dont elle nestoit pas capable. Cest ainsy que Dieu la conduitte, et la repoussée doucement de ce haut degré de perfection ou elle aspiroit, pour la soutenir dans un autre un peu au dessous, qui ne peut estre que tres bon, puisquil luy donne la grace de laymer uniquement, qui est tout ce quil y a dans ce monde a souhaitter. Mais, cette mesme providance luy a inspiré la plus belle, la plus juste, et la plus estimable pensée quil est possible dimaginer pour sa famille, elle na point voulu que son retour à la vie, ostat a Mr son pere, ce quelle vouloit luy donner par cette mort civile, elle luy a fait, a sa sortie, une donation entre vifs, tres bien conditionée, et insinuée, de quarante mil ecus quil luy devoit, savoir vint mil ecus en fons, et vint mil ecus darerages et de quelques somes prestées. Ce present a este estimé de tous ceux, non seulement qui ayment Mr de Grignan, mais de ceux qui savoient que tout son bien estant devenu meuble a 25 ans sy elle nut disposé de rien par testament alloit quasy tout entier a son pere, et que de plus, Mr de Grignan devra encore quatre vingt mil ecus a Melle d’Alerac [Julie-Françoise, seconde fille (en premières noces) du comte de Grignan, qui épousera le marquis de Vibraye], en comptant le fons du douaire de quarante mille ecus. Cest assez honnestement pour ne pas plaindre la sœur, et pour estre bien aise, que cette maison soit soulagée de ce double payement ». Mme de Sévigné a été très touchée de ce geste : « jadmire que son bon naturel luy ait fait faire sans art, la seule chose qui estoit capable de luy redonner du pris, dans sa famille, ou elle est presentement agréée et considerée come la bienfaitrice. Lesprit seul auroit du faire cet effet, dans une autre personne, mais il vaut mieux que le cœur tout seul y ait eü part. Ma fille a sy joliment contribué a cette petite maneuvre, quelle en a eü un double joye, le chevalier [Joseph de Grignan, frère du comte] y a fait aussy des merveilles, car vous jugez bien quil a falu ayder, et donner une forme, a toutes ces bonnes volontés. Enfin tout est a souhait. Melle d’Alerac mesme a fort bien compris la justice de ce sentiment, je prie Dieu quil len recompense par un bon établissement, dont la providance nous cache tellement encore toutes les aparances que nous ny voyons rien du tout »… Mme de Sévigné plaint son correspondant d’avoir dû subir ce long récit : « vous aurez une indigestion de Grignans »…

    Puis elle donne des nouvelles des Sévigné. Son fils Charles est enfin guéri « apres cinq mois dune soufrance par des remedes, qui le purgeoient jusques au fond de ses os, enfin le pauvre enfant sest trouvé dans une tres parfaite santé. Il a passé le mois doust entier avec moy dans cette solitude que vous connessez, nous estions seuls, avec le bon abé [de Livry], nous avions des conversations infinies, et cette longue societé, nous a fait un renouvellement de connessance, qui a renouvelé nostre amitié. Il sen est retourné chez luy, avec un fons de philosophie cretienne, chamaré dun brin danacorette, et sur le tout, une tandresse infinie pour sa femme, dont il est aymé de la mesme façon, et qui font, en tout, lhome du monde le plus heureux, parce quil passe sa vie a sa fantaisie » [en 1684 Charles de Sévigné avait épousé Marguerite de Mauron dont la dot lui avait permis de quitter sa charge militaire]. Elle explique comment vingt fois elle et lui ont voulu écrire à Moulceau, mais chaque fois « un démon vient qui nous jette une distraction, et qui nous oste cette bonne pensée, que peut on faire a ces sortes de malheurs. Mon pauvre monsieur, peutestre connessez vous le chagrin davoir de bonnes intantions sans les executer ».

    Elle évoque enfin « nostre cher jaloux » [Jean Corbinelli] qui voudra peut-être passer l’hiver avec Moulceau : « Vous en serez bien aise, vous en rirés, et jen pleureray, car cest une sy intime confiance, et une sy veritable amitié, que celle que jay pour luy, quon ne peut perdre la presence dun tel amy, sans sen apercevoir a tout moment. […] Jayme que cet atachement continue, vous y ferez fort bien, et je conte beaucoup, pour notre amy le plaisir de vous revoir, et de se renouveler dans vostre cœur ». Et elle conclut ainsi cette longue lettre de 13 pages : « Je ne vous écris pas souvent, mais vous mavoürez que quand je my mets, ce nest pas pour rien ».

    Correspondance, Bibliothèque de la Pléiade, éd. R. Duchêne, n° 944, t. III, p. 260-263, d’après le texte imprimé dans les Lettres nouvelles de 1773, et non d’après ce précieux autographe.

     

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