Catalogue 2023

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  • 025 Sophie ARNOULD (1744-1803) cantatrice, interprète de Gluck dont elle créa l’Eurydice et Iphigénie en Aulide

  • 025 Sophie ARNOULD (1744-1803) cantatrice, interprète de Gluck dont elle créa l’Eurydice et Iphigénie en Aulide Image
  • L.A., le Paraclet-Sophie à Luzarches 23 vendémiaire IX (15 octobre 1800), à l’architecte François-Joseph Bélanger (1744-1818, il construisit Bagatelle pour le comte d’Artois) ; 8 pages in-4.

    Superbe et longue lettre, pleine d’espièglerie et d’amitié pour son ancien amant, et d’admiration pour le Premier Consul.

    Très touchée par sa lettre, elle songe à leur bon temps, et à la préférence que Bélanger a toujours eue dans son cœur, « car enfin à vingt ans à peine ! on peut bien se tromper et prendre son cul ! pour ses chausses !.. Non ! C’est que la nature, libérale envers vous de tous les dons qui donnent les plaisirs ; vous a doués aussy, d’un cœur bon, et sensible […] Eh ! je sens que je vous aime plus tendrement qu’on n’eu jamais aimés… Que votre femme [la danseuse Mlle Dervieux] ne savise pas de se méttre martelle en tête, sur ma déclaration, car si elle raisonnoit je luy riverrois son cloud »… Elle plaisante à ce propos, évoquant la « calotte de plomb sur la tête qui m’avertit bien, que, Printems, Plaisirs, Amour, tout est passés pour moy », et promettant de gratifier son « bel ange » d’un petit bouquet de ses cheveux pour le nouvel an, « l’an 9 de la République, autrement dit 1800 de l’ere de nos amours » : ils sont blancs, mêlés de noir, si bien qu’elle aurait pu représenter au Temple de Mars, dernièrement, la cavale du grand Turenne… Elle cite des vers sur l’âge, l’amour et l’amitié, car « Voila ma façon de penser, comme disait a tous propos, le preux ml de Biron », et elle entretient affectueusement et plaisamment Bélanger de sa « jeune compagne » à qui elle recommande les eaux de Barèges, en se moquant de sa propre solitude : « et pourtant il me faut, comme le docteur Panglos : me trouver dans le meilleur des mondes possibles : … violée… autant qu’on peut l’estre… mangée ! par les bulgards ; viélle ! comme ses rèves ; pauvre ! comme Job »… Mais un peu de pain sec et de bons amis, voilà le bonheur : « daillieurs, quoi que j’aie étée dans une jolie passe, dans le courant de ma vie jay toujours bien vue, bien pensée ! bien réfléschie qu’il n’y avoit jamais de vie heureuse, quil y avoit seulement, des jours heureux dans cette vie eh ! même en y pensant proffondement ! je crierois en vérité ! qu’on y a, que des nuits heureuses a cause de ce que tu sçais bien »…

    Puis elle aborde les affaires publiques, et l’espoir enfin d’une paix qu’on ne devra qu’à « Bouonnaparté » : « c’est mon héros : tout ce qu’il a fait dans la Révolution, est marquée au cachêt du grand homme : même quand il a agit sous les ordres, du Dirécteur Barras… Encorre que l’on trouve cétte tache en sa vie… Mais ! Examinons de près ! Quel génie, quel personnage extraordinaire ! Qui ! qui dans la France, eu fait ce qu’il a fait pour les françois, qui, quél homme ; avec une taille, peu avantageuse &c ! d’un extérieur peu imposant ! Qui auroit sceu comme lui, donner tout a coup a la France l’impulsion quelle en n’a reçue ! Eh ! qui ! Le plus puissant monarque ; Louis quatorze si vous voulez ! avec son beau phisique, sa toute puissançe & la plus habille politique ! auroient vainement tentés de produires… Qu’elle imagination vive : quelle éloquençe forte, persuasive, plenne de feu ma foy ! C’est un homme, ou je ne m’y connois pas »… En Allemagne, on le hait comme usurpateur, et en Angleterre, comme vainqueur, mais « un françois haïr Bouonnaparté : après le gouvernement atroçe dont il nous a délivrés, ainsy que de tous les malheurs ensemble, on dit ! mais ! ce n’est plus une Republique !.. On dit aussy, Le Roy Bouonnaparte… &c &c. Ah ! que m’importe a moy ! le nom… quand il m’est bien demontrée, que la perfection d’une République est une chimère & que la perféction d’un déspotisme est une horreur… que pour maintenir ces glorieuses chimères, il n’est point d’état republicain qui n’ait eu recours a des moyens forcés, violents, surnaturels ! une multitudes de loix inéxécutables, ruineuses, et meurtrières : des Republicains qui sonts libres ! et qui cherchent toujours la liberté ; qui veulent estres tranquils ! et ! qui ne le sonts jamais ! ou il n’y a d’innoncents, que les victimes ! ou l’on n’a trouvés que des assassins, des bourreaux dans chacuns de ses representans : nous nous sommes mal embarqués ! Nous avons cherchés une contrée imaginaires ! Voila assez longtems que notre vaisseau est battu de la tempêstte, que nous allons decueils en ecueils… Contentons nous, de n’estre pas brisés sur un rochér… Ressouvenons nous des Romains – le sistème republicain fut sa fable aussy : il fuyoit le despotisme & le despotisme fut sa fin… Tel est la mauvaise constitution du gouvernement républicain »… Elle renvoie à l’histoire de toutes les révolutions et à celles d’Athènes et de Rome en particulier : il a bien fallu que Rome se soumît à des décemvirs, des dictateurs et des censeurs souverains. « Eh bien, nous !... Trois consuls onts étés només par le peuple qui n’en reconnoit qu’un, tant le gouvernement d’un seul est dicté par trente cinq millions d’hommes ! »… Elle demande ce que leurs amis disent de tout cela : d’aucuns ne sont pas bêtes, tels Pierrot, et le boiteux, et elle le prie de les saluer de sa part : Sainte-Foy, Bougainville, « je dirois presque, l’aimable Tayllerant »…

    Lettre publiée par Edmond et Jules de Goncourt, Sophie Arnould d’après sa correspondance et ses Mémoires inédits, 1885, chap. LVI. – Ancienne collection Auguste Chéramy (23 avril 1913, n° 4).

     

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