Catalogue 2023

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  • 102 Jean GENET (1910-1986) écrivain

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  • Manuscrit autographe, [Jean Cocteau, 1950] ; 4 pages in-4 sur 4 feuillets quadrillés d’un cahier d’écolier.

    Premier texte théorique de Jean Genet, consacré à celui qui l’incita et l’aida à publier son premier livre, Notre-Dame des fleurs. [Ce texte parut en mai 1950 dans la revue belge Empreintes, numéro spécial consacré à Cocteau. Absent des Œuvres complètes, il fut recueilli dans Fragments et autres textes (Gallimard, 1990).]

    « Grec : la sèche élégance de ce mot, sa brièveté, sa cassure même, un peu abrupte, sont les qualités qui s’appliquent avec promptitude, à Jean Cocteau. Le mot est déjà un précieux travail de découpage : ainsi désigne-t-il le poète dégagé, dépris d’une matière dont il a fait voler les copeaux. Le poète – ou son œuvre mais donc lui – reste un curieux fragment, bref, dur, étincelant, cocassement inachevé – comme le mot grec – et qui contient les vertus que je veux dénombrer. Surtout la luminosité. Un éclairage, d’abord, uniforme et cruel, montrant avec précision les détails d’un paysage apparemment sans mystère : c’est le classicisme hellénique. L’intelligence du poète, en effet, éclaire son œuvre d’une lumière si blanche, si unie, qu’elle semble froide. Cette œuvre est élégamment désordonnée, mais chacun de ses fûts ou socles, fut travaillé avec rigueur, puis, semble-t-il, cassé et laissé là. Aujourd’hui de belles étrangères la visitent. Elle baigne dans une atmosphère très pure, très bleue. Ce n’est pas un simple jeu qui nous fait, pour parler de Jean Cocteau, développer une métaphore. Le mot grec fut choisi par lui, et souvent la Grèce tout entière il voulut l’illustrer ou se référer à elle. C’est qu’il sait ce qu’elle signifie de plus sombre, de plus souterrain, de farouche et de presque dément »… Chez Cocteau, un cœur complexe et douloureux voudrait à la fois se cacher et s’épanouir : « Ainsi une profonde intelligence rend-elle cette œuvre infiniment triste. Sa nature est orageuse. Elle frissonne. […] Jean Cocteau ? C’est un très grand poète, lié aux autres poètes par la fraternité du front, et aux hommes par le cœur. Nous insistons encore sur cela car il semble qu’un malentendu déplorable s’établisse à son propos. La grâce de son style devait être la proie de ce que le monde compte de plus vil : l’élite. Aussi a-t-elle voulu accapparer, faire sienne cette forme élégante, négligeant l’amande délicate et sensible qu’elle contient. Nous, cette fois, nous refusons violemment cette compromission, et venons revendiquer nos droits sur un poète non léger, mais grave. Nous refusons à Jean Cocteau le titre stupide d’enchanteur : nous le déclarons “enchanté”. Il ne charme pas : il est “charmé”. Il n’est pas sorcier mais “ensorcelé”. Et ces mots ne servent pas à contrer la basse frivolité d’un certain monde : je prétends qu’ils disent mieux le drame véritable du poète »…

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