Catalogue 2023

Manuscrit autographe, [1939] ; 2 pages et quart in-4 sur papier quadrillé (petites fentes aux plis, papier légèrement froissé).

Présentation de son livre Le Mur.

« Ce sont des nouvelles déplaisantes et je ne m’étonnerai pas si elles déplaisent. Mais je ne voudrais pas qu’on me reproche d’être naturaliste. C’est en effet l’étiquette qu’on colle, en général, sur les auteurs qui nous présentent une image désagréable de nous-mêmes. Or le véritable naturalisme décrit des laisser-faire et des laisser-aller, tout finit toujours par y tourner au pis, parce que l’homme est déterminé et que le terme naturel du déterminisme est la dissolution. Mes héros sont libres, c’est librement qu’ils se mentent et qu’ils essayent de se masquer l’Existence. […] Ces nouvelles ont une unité : elles retracent toutes des fuites manquées devant l’Existence. C’est pour cela que le titre de l’une d’elles Le Mur m’a paru convenir à tout le recueil : un mur barre la route à ces fugitifs, on ne peut pas s’évader de la condition d’existant. Dans la première de mes nouvelles j’ai essayé de montrer qu’on ne peut pas penser la mort, qu’il n’est pas vrai que l’être de l’homme soit comme dit Heidegger « l’Être-pour-la-mort », qu’il n’est pas vrai qu’on puisse réaliser, comme le veut Malraux, une solidarité humaine devant la mort. La mort, c’est ce qui isole sans se laisser penser, l’homme qui va mourir est un existant comme les autres, perdu au sein de l’Existence »… Sartre détaille ses intentions dans les quatre autres nouvelles du recueil. « Dans La Chambre j’ai voulu montrer l’impossibilité de construire un monde imaginaire. […] Érostrate, le héros de ma troisième […], veut se purifier par le crime ». Quant à Intimité, dont la parution fit polémique, c’est « une analyse du mensonge à soi […] comme essai d’échapper à une condition particulière d’existant. […] Enfin L’Enfance d'un chef veut présenter au lecteur le type le plus courant, le plus répugnant du mensonge à soi : la conscience-d’avoir-des-droits […]. Il faut donc revenir à l’Existence puisque tous les chemins sont barrés. Que la sagesse soit la méditation de l’existence, je n’en ai jamais douté. Mais l’homme, existant parmi d’autres, est aussi un existant libre. Qu’est-ce que la liberté peut faire de l’existence ? C’est à cette question que je tenterai de répondre dans le roman que je suis en train d’écrire L’Âge de raison »… On ne manquera pas de reprocher à ses nouvelles « d’être obscènes ou morbides. […] mais je me refuse à croire que la pureté de cœur soit l’état normal et originel de l’homme et que les vices, les souffrances, la folie soient des monstruosités sur lesquels il convient de jeter pudiquement un manteau […]. Que vous le vouliez ou non vous êtes des hommes et c’est à partir des horreurs de la folie, de l’injustice, de la peur, du mensonge à soi, des perversions sexuelles, qu’il faut définir votre condition d’homme »…