Catalogue 2020

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  • 004 Louis ARAGON (1897-1982) écrivain

  • 004 Louis ARAGON (1897-1982) écrivain Image
  • manuscrit autographe signé du pseudonyme « Georges Meyzargues », Montherlant joué, [1943] ; 11 pages et demie in-4.

    Long et remarquable article sur la pièce La Reine morte de Montherlant. Le manuscrit, aux encres bleue et noire, présente des ratures et corrections, et des marques d’imprimeur ; signé du pseudonyme d’Aragon sous l’Occupation, il a été publié dans la revue Confluences (n°16, janvier 1943). « Qu’il est difficile de parler aujourd’hui d’Henry de Montherlant ! Il a tant d’amis, tant d’ennemis qu’on risque toujours de se voir classer parmi les uns ou les autres, alors qu’on ne veut qu’exercer le droit critique à quoi s’expose tout homme qui publie. […] Voulant parler de La Reine morte, une pièce de théâtre que Montherlant publie à l’instant que la Comédie Française la joue, on aimerait pourtant s’en tenir à l’œuvre même ». Aragon résume brièvement l’action de la pièce, mettant en scène l’histoire d’Inès de Castro, avant de citer la lettre-dédicace de Montherlant à Jean-Louis Vaudoyer, administrateur de la Comédie-Française : « Et je parle d’ébrouement (j’avais écrit d’abord enjouement) sans gêne, parmi les misères et les angoisses de la France de 1942, car ce que nous donnons dans l’art est comme ce que nous donnons dans l’amour. Ces flammes trop fortes pour que les plus durs vents puissent les éteindre, sont aussi trop pures pour insulter aux ténèbres… Où l’on reconnaît que notre auteur n’a pas tout à fait pu se priver de nous provoquer, concédant toutefois d’enjouer à s’ébrouer, et qu’il a mis en tête de son drame de quoi faire une fois encore dérailler le critique sur l’indécence d’un mot, et non pas d’une action. […] Nous n’aurons garde de tomber dans son piège, et de juger La Reine morte à la lumière de cet ébrouement. Mais M. de Montherlant est écrivain, et il a beaucoup dit qu’il avait le goût du mot propre : aussi faut-il qu’il s’attende à ce que ce mot, impropre au temps que nous traversons, le fasse mal juger par d’autres que nous. On le soupçonne d’y prendre un plaisir assez pervers »… Plus qu’une adaptation de la pièce de Luis de Vélez de Guevara dont Montherlant s’est librement inspiré, La Reine morte lui permet de « développer une pensée qui du Songe aux Lépreuses ne s’est après tout guère démentie ». Loin de l’influence de Barrès, Montherlant a voulu faire le portrait du Roi Ferrante, « de cet homme qui est le siège de grandes contradictions, et du débat même qu’on trouve dans toute l’œuvre de Montherlant, entre les raisons sentimentales d’agir et cette raison supérieure, inhumaine qui s’y oppose, et qui peut être la raison d’état tout aussi bien qu’une certaine conception de la virilité »… Et Aragon de continuer cette subtile analyse, pour conclure : « Ferrante invoque ici ce Dieu à qui Montherlant ne croit pas, comme on sait. La peur de la mort n’est pas suffisante pour excuser in extremis Tartufe non de n’avoir pas cru en Dieu, mais d’avoir invoqué un Dieu dans lequel il ne croyait pas. Et qu’on élargisse cette image : je ne parle pas de Dieu, mais je parle de tous les mots nobles et grands, de toutes les belles choses humaines que pour mieux nous rouler chemin faisant tout le long de son œuvre Montherlant évoque sans y croire avec l’art consommé du rhéteur, […] cette dérision de l’amour, de la femme, de l’enfant né de la femme, du bonheur, de cette dérision aussi de toute justice et de toute grandeur morale, auxquelles il a donné toute sa complaisance et els trésors de notre langue, pervertie, et profondément moquée »…

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